Éliminer les bactéries de l’eau grâce à un bio-matériau
Un article de vulgarisation de Ilse Cardenas Article vulgarisé: Novel Chitosan-PEO/TEMPO-Oxidized cellulose composite media for water purification against bacteria (en rédaction)
Auteurs : Ilse Ileana Cárdenas Bates [1], Ingrid Berenice Sanchez Carrillo [2], Hugo Germain [2], Éric Loranger [1], Bruno Chabot [1]
[1] Institut d’Innovations en Écomatériaux, Écoproduits et Écoénergies, Université du Québec à Trois-Rivières, 3351 boul. des Forges, C.P. 500, Trois-Rivières, Qc G9A-5H7, Canada
[2] Département de chimie, de biochimie et de physique, Université du Québec à Trois-Rivières, 3351 boul. des Forges, C.P. 500, Trois-Rivières, Qc G9A-5H7, Canada
En 2017, plus de 2 milliards de personnes ont été approvisionnées en eau potable polluée [1]. Oui, vous avez bien lu : 2 milliards ! Cette pollution provoque un risque de dissémination des agents pathogènes tels que les bactéries qui peuvent causer la mort. Par exemple, chaque année, 470 Canadiens sont infectés par la bactérie Escherichia Coli. D’ailleurs, plusieurs épisodes très médiatisés d’infection à E. Coli sont survenus au Canada depuis les années 1980 [2]. La recherche sur les technologies permettant d’améliorer la qualité de l’eau et sa réutilisation est donc essentielle.
Actuellement, les méthodes de purification de l’eau contre les bactéries sont principalement basées sur des traitements chimiques tels que l’application d’ozone, de sels d’ammonium ou de phosphonium et la chloration [3, 4]. Cependant, l’utilisation de ces produits chimiques présente un inconvénient soit la formation de sous-produits de désinfection (DBP). Les oxyhalogénures, les acides haloacétiques et les haloacétonitriles en font partie. Ces composés sont toxiques, et certains sont même cancérigènes, de sorte que leur présence dans l’eau représente un risque pour l’homme [4, 5]. Il y a donc un intérêt à remplacer ces traitements chimiques par d’autres qui soient plus respectueux de l’environnement et de la santé humaine.
Pour y parvenir, l’utilisation de membranes bio-polymèriques comme filtres pour le traitement de l’eau est devenue l’une des alternatives les plus récemment développées. Elles ont la particularité d’être biodégradables, biocompatibles, à faible coût de fonctionnement, non toxiques et elles offrent également la possibilité de valoriser les déchets. Le chitosane et la cellulose en sont de très bons exemples, puisqu’ils proviennent respectivement des déchets de l’industrie de la pêche et des déchets forestiers. D’ailleurs, j’avais écrit un autre article de vulgarisation à ce sujet pour le blog du réseau MRQ.
Parmi les technologies couramment utilisées pour produire des membranes bio-polymériques, l’électrofilage est la plus répandue en raison des nombreux avantages qu’elle présente. Son coût est relativement faible et elle offre la possibilité de fabriquer des fibres de taille micrométriques, voire nanométriques, assurant une capacité de filtration élevée[6, 7]. Cette technique consiste à éjecter une solution de polymère d’une seringue vers un collecteur métallique (cadre). Ce dernier, traversé par une haute tension, assure une attraction et un dépôt homogène du « fil » de solution sur le collecteur. L’accumulation de nombreuses fibres nanométriques électrofilées forment un réseau permettant d’obtenir un tapis non tissé très similaire à la toile d’araignée du célèbre Homme Araignée ! La Figure 1 présente ce système d’électrofilage.

Figure 1. Système d’électrofilage
Le chitosane est un biopolymère produit à partir de la désacétylation de la chitine, soit l’élimination d’un groupe acétyle CH3CO-. En plus de ses propriétés écologiques mentionnées ci-dessus, ce composé possède naturellement une activité antibactérienne. Bien que quelques études aient examiné son utilisation comme filtre antibactérien pour le traitement de l’eau [8–11], ce bio-filtre n’est toujours pas adapté à l’échelle industrielle en raison de ses mauvaises propriétés mécaniques.
Contrairement au chitosane, la cellulose, elle, possède d’excellentes propriétés mécaniques. De plus, c’est le biopolymère le plus abondant au monde et, comme le chitosane, il est biodégradable, biocompatible et non toxique.
Les propriétés de ces deux biopolymères ont finalement poussé certains chercheurs à développer différents composites bio-hybrides cellulose/chitosane électrofilés durant ces dernières années [12–15]. Cependant, il n’existe à ce jour aucune application de ces composites pour le traitement des eaux contre les bactéries.
Nous proposons donc dans ce travail de fabriquer un tout nouveau matériau filtrant à base de Chitosane et de Cellulose oxydée, sous la forme d’un « sandwich », à partir de la technique d’électrofilage décrite précédemment (Figure 2). Ce matériau hybride est constitué d’un noyau central de fibres de cellulose recouvert des deux côtés d’un film poreux de nanofibres de chitosane.

Figure 2. Fabrication du matériau de type « Sandwich » par le procédé d’électrofilage
Nos travaux préliminaires ont révélé que la synergie entre ces deux composants renforce leurs propriétés mécaniques et antibactériennes par rapport aux deux composés pris séparément. Dans l’ensemble, nos résultats montrent que le nouveau composite présente un comportement à la fois bactéricide (qui élimine les bactéries) et bactériostatique (qui arrête la multiplication des bactéries sans les détruire). Ces effets étaient présents contre deux types de bactéries, soit Bacillus Subtilis et Escherichia Coli, et en présence de fortes conditions de croissance bactérienne. La figure 3a montre l’efficacité de microfiltration des bactéries (les bactéries ressemblent un peu à des saucisses blanches sur la figure) lesquelles sont retenues entre les fibres. La figure 3b démontre l’effet antibactérien du bio-filtre.

Figure 3. Efficacité de microfiltration (a) et effet antibactérienne (b) du bio-filtre
En plus, le bio-filtre peut être utilisé jusqu’à trois fois sans perte significative de perméabilité. Pour couronner le tout, à la fin de son cycle de vie, ce bio-filtre pourrait être utilisé pour générer de l’électricité à partir de la production de biogaz dans des systèmes de digestion anaérobie et ainsi promouvoir une économie circulaire !
En résumé, ce biomatériau de type sandwich va nous permettre de filtrer les bactéries qui se trouvent dans l’eau pour améliorer la santé de la population et protéger l’environnement. Finalement ce projet pourrait, à long terme, répondre aux futures politiques environnementales mises en place pour protéger nos ressources hydriques.
Références bibliographiques
1. World Health Organization (WHO) (2019) Drinking-water. https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/drinking-water#:~:text=In 2017%2C 71%25 of the,at least a basic service.
2. Todd E, Baker N (2018) Infections à E. Coli au Canada. In: L’Éncyclopédie Can. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/hamburger-maladie-du
3. Zazouli MA, Kalankesh LR (2017) Removal of precursors and disinfection byproducts (DBPs) by membrane filtration from water; a review. J Environ Heal Sci Eng 15:1–10. https://doi.org/10.1186/s40201-017-0285-z
4. Alexandrou L, Meehan BJ, Jones OAH (2018) Regulated and emerging disinfection by-products in recycled waters. Sci Total Environ 637–638:1607–1616. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2018.04.391
5. Srivastav AL, Kaur T (2020) Factors affecting the formation of disinfection by-products in drinking water: human health risk. LTD
6. Fahimirad S, Fahimirad Z, Sillanpää M (2021) Efficient removal of water bacteria and viruses using electrospun nanofibers. Sci Total Environ 751:. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2020.141673
7. Nune SK, Rama KS, Dirisala VR, Chavali MY (2017) Electrospinning of collagen nanofiber scaffolds for tissue repair and regeneration
8. Taheran M, Kumar P, Naghdi M, et al (2019) Development of an advanced multifunctional portable water purifier. Nanotechnol Environ Eng 4:1–6. https://doi.org/10.1007/s41204-019-0054-6
9. Mukherjee M, De S (2017) Investigation of antifouling and disinfection potential of chitosan coated iron oxide-PAN hollow fiber membrane using Gram-positive and Gram-negative bacteria. Mater Sci Eng C 75:133–148. https://doi.org/10.1016/j.msec.2017.02.039
10. Makaremi M, Lim CX, Pasbakhsh P, et al (2016) Electrospun functionalized polyacrylonitrile-chitosan Bi-layer membranes for water filtration applications. RSC Adv 6:53882–53893. https://doi.org/10.1039/c6ra05942b
11. Jabur AR, Abbas LK, Moosa SA (2016) Fabrication of electrospun chitosan/nylon 6 nanofibrous membrane toward metal ions removal and antibacterial effect. Adv Mater Sci Eng 2016:. https://doi.org/10.1155/2016/5810216
12. Taheri P, Jahanmardi R, Koosha M, Abdi S (2020) Physical, mechanical and wound healing properties of chitosan/gelatin blend films containing tannic acid and/or bacterial nanocellulose. Int J Biol Macromol 154:421–432. https://doi.org/10.1016/j.ijbiomac.2020.03.114
13. Somsap J, Kanjanapongkul K, Chancharoonpong C, et al (2019) Antimicrobial activity of edible electrospun chitosan/cellulose acetate/gelatin hybrid nanofiber mats incorporating eugenol. Curr Appl Sci Technol 19:235–247. https://doi.org/10.14456/cast.2019.20
14. Ridolfi DM, Lemes AP, de Oliveira S, et al (2017) Electrospun poly(ethylene oxide)/chitosan nanofibers with cellulose nanocrystals as support for cell culture of 3T3 fibroblasts. Cellulose 24:3353–3365. https://doi.org/10.1007/s10570-017-1362-2
15. Istirokhatun T, Rokhati N, Nurlaeli D, et al (2017) Characteristics, biofouling properties and filtration performance of cellulose/chitosan membranes. J Environ Sci Technol 10:56–67. https://doi.org/10.3923/jest.2017.56.67