Et si un filtre sous la forme d’une toile d’araignée pouvait décontaminer l’eau des métaux lourds?
Vulgarisation scientifique : Ilse Ileana Cárdenas Bates, candidate au doctorat – Université du Québec à Trois-Rivières
Saviez-vous que le Canada est le deuxième plus grand consommateur d’eau parmi les 36 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ? [1] La consommation moyenne d’eau par année dans ce pays, par habitant, est de 1025 m3 [2], soit l’équivalent de la quantité qui coulerait du robinet de votre cuisine si vous le laissiez ouvert pendant quasiment deux mois! Dans le but d’assurer la pérennité des sources d’eau fraîche, des efforts doivent être faits, pour non seulement réduire la consommation de cette ressource, mais aussi pour traiter les eaux usées afin de les rendre réutilisables, ou plus sûres à rejeter vis-à-vis de notre environnement.
C’est pourquoi, les instances gouvernementales établissent des règlementations de plus en plus sévères envers les industries qui sont de grandes consommatrices d’eau, car le traitement inadéquat de ces effluents entraîne le rejet de contaminants dans l’environnement. Parmi ces contaminants, les métaux lourds sont très nocifs, car non-biodégradables et très toxiques, et certains sont cancérigènes [3,4]. Ces derniers peuvent alors s’accumuler dans les organismes aquatiques, puis être transférés dans le corps humain via la chaîne alimentaire. À titre d’exemple pour l’être humain, une quantité excessive d’ions de cuivre peut conduire à la faiblesse, à la léthargie, au coma, à l’anémie et bien d’autres problèmes de santé [5–8]. Par conséquent, la rétention de ces métaux est très importante pour garantir la bonne santé de la population et protéger l’environnement.
Dans ce travail, le cuivre a été choisi comme contaminant modèle, car il est non seulement source de maladies, mais sa récupération est aussi très importante du point de vue économique. Il est largement utilisé sous forme pure ou sous forme d'alliage, dans la production de conducteurs et de fils électriques, de tôles, de tuyaux et d'appareils sanitaires, de pièces de monnaie, d'ustensiles de cuisine et d'autres produits métalliques [9]. Il est également utilisé dans le secteur agricole dans les fongicides. Parmi les autres applications, mentionnons la production de produits de préservation du bois d'œuvre, la tannerie et les textiles [3]. Ce cuivre peut donc être réutilisé après sa récupération dans l’eau résiduelle industrielle. Bien qu’il existe déjà des matériaux pour la filtration de ces métaux, ceux-ci sont coûteux et nécessitent des traitements supplémentaires pour les régénérer [3,10,11] : c’est ici que notre projet intervient !
L’objectif de ce travail consiste à mettre au point un matériau bio-filtrant à partir des deux composants naturels les plus abondants au monde : la cellulose et le chitosan. Ainsi, ces deux composants rendent le matériau économique, renouvelable et biodégradable, car il pourrait être produit à partir des résidus industriels provenant notamment de l’industrie forestière (cellulose) et l’industrie de la pêche à partir des carapaces des crustacés (chitosane). De plus, la présence des groupes amines et hydroxyles dans le chitosane permet la fixation des métaux grâce au mécanisme de chélation avec des métaux. La présence des fibres cellulosiques, elle, fournit au matériau une résistance mécanique élevée, la rendant parfaitement appropriée à l’échelle industrielle.

Figure 1. Approche envisagée pour la recirculation des effluents Ce matériau sera en mesure de s’implanter à la fin de la chaîne d’épuration conventionnelle de l’eau dans l’industrie (traitement tertiaire) afin de permettre la recirculation partielle de l’eau dans le procédé (Fig. 1). Cela va conduire à une réduction de la consommation d’eau fraîche et à une réduction de la concentration des contaminants dans les effluents.
Pour fabriquer ce filtre, nous avons mis au point un nouveau concept sous la forme d’un matériau hybride de type « Sandwich » constitué d’un noyau central de fibres de cellulose recouvert des deux côtés d’un film poreux de nanofibres de chitosane, à partir de la technique d’électrofilage (Fig. 2). Cette technique permet de générer des fibres de taille nano/micrométrique sous la forme d’une membrane poreuse et mince, similaire à une toile d’araignée (Fig. 3). Parmi ses avantages, se retrouvent une résistance mécanique accrue, une capacité d’adsorption élevée et une haute porosité.

Figure 2. Représentation schématique du système utilisé dans ce travail pour la production du matériau bio-filtrant
Ainsi, un matériau bio-filtrant a été obtenu, possédant des nano/microfibres continues et sans défaut ayant des diamètres respectifs moyens de 159,3 ± 33,7 nm et 21,7 ± 5,1 µm pour le chitosane et la cellulose. Différentes durées d'électrofilage ont été testées. Dans les conditions étudiées, 2h d'électrofilage de chitosane s’est révélée être la durée optimale pour générer un matériau hautement perméable. De plus, la propriété mécanique de la membrane a été améliorée de manière significative par l’ajout du noyau central cellulosique : la résistance à l'éclatement est passée de 1 MPa pour le chitosane seul, à 127 MPa avec ce procédé. Plus important encore, le matériau résultant a montré des caractéristiques très intéressantes d'adsorption des ions de cuivre : une adsorption de 27% a été atteinte avec seulement 12 mg de nanofibres de chitosane sur la cellulose. Par conséquent, notre filtre nanofibreux a montré un comportement de filtration efficace en solution aqueuse avec une résistance mécanique élevée, ce qui en fait une solution adaptée pour le milieu industrielle.

Figure 3. Apparence des nanofibres électrofilées de chitosane
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Références
[1] Organisation de coopération et de développement économiques OCDE, Environment: Air, water and land, 2005.
[2] Gouvernement du Canada, Utilisation de l’eau au Canada dans un contexte mondial, (2016). https://www.canada.ca/fr/environnement-changement-climatique/services/indicateurs-environnementaux/utilisation-eau-contexte-mondial.html (accessed April 21, 2020).
[3] P.J. Chen, L.K. Wang, M.S. Wang, Y.-T. Hung, N. Shammas, Remediation of Heavy Metals in the Environment, New-York, 2017. https://doi.org/10.2136/vzj2017.11.0195.
[4] K. Singh, N.A. Renu, M. Agarwal, Methodologies for removal of heavy metal ions from wastewater: an overview, Interdiscip. Environ. Rev. 18 (2017) 124. https://doi.org/10.1504/ier.2017.10008828.
[5] E. Dragan, D.F. Apopei Loghin, A.I. Cocarta, Efficient sorption of Cu2+ by composite chelating sorbents based on potato starch- graft -polyamidoxime embedded in chitosan beads, ACS Appl. Mater. Interfaces. 6 (2014) 16577–16592. https://doi.org/dx.doi.org/10.1021/am504480q.
[6] V. V Ranade, V. Bhandari, Industrial Wastewater Treatment Technologies, Recycling, and Reuse, Elsevier, 2017. https://doi.org/10.1016/b978-0-12-811989-1.00013-0.
[7] S.O. Amuda, O.A. Alade, L.K. Wang, M.S. Wang, Toxicity, Sources, and Control of Copper (Cu), Zinc (Zn), Molybdenum (Mo), Silver (Ag), and Rare Earth Elements in the Environment, in: Remediat. Heavy Met. Environ., 2016: pp. 1–26.
[8] S. Xiao, H. Ma, M. Shen, S. Wang, Q. Huang, X. Shi, Excellent copper(II) removal using zero-valent iron nanoparticle-immobilized hybrid electrospun polymer nanofibrous mats, Colloids Surfaces A Physicochem. Eng. Asp. 381 (2011) 48–54. https://doi.org/https://doi.org/10.1016/j.colsurfa.2011.03.005.
[9] S.B. Tavakoly Sany, R. Hashim, M. Rezayi, A. Salleh, M.A. Rahman, O. Safari, A. Sasekumar, Human health risk of polycyclic aromatic hydrocarbons from consumption of blood cockle and exposure to contaminated sediments and water along the Klang Strait, Malaysia, Mar. Pollut. Bull. 84 (2014) 268–279. https://doi.org/10.1016/j.marpolbul.2014.05.004.
[10] Y. Anjaneyulu, N. Sreedhara Chary, D. Samuel Suman Raj, Decolourization of industrial effluents - Available methods and emerging technologies - A review, Rev. Environ. Sci. Biotechnol. 4 (2005) 245–273. https://doi.org/10.1007/s11157-005-1246-z.
[11] I. Lakhdhar, P. Mangin, B. Chabot, Copper (II) ions adsorption from aqueous solutions using electrospun chitosan/peo nanofibres: Effects of process variables and process optimization, J. Water Process Eng. 7 (2015) 295–305. https://doi.org/https://doi.org/10.1016/j.jwpe.2015.07.004.