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Un connecteur auto-verrouillant pour la construction préfabriquée

Vulgarisation scientifique : Laurence Picard, candidate à la maîtrise – Université Laval

Il existe aujourd’hui de multiples techniques, pensées et théories à savoir comment concevoir un bâtiment écoresponsable. Dans les contextes économique et géographique canadiens, il importe de mettre de l’avant l’utilisation des ressources renouvelables qui font preuve d’une grande disponibilité sur le territoire. Le bois, que l’on retrouve en abondance au Québec, est un matériau dont les processus de transformation pour en faire un matériau de construction sont peu énergivores lorsque comparés aux processus de fabrication d’autres matériaux, comme le béton ou l’acier. Le bois présente par ailleurs un atout additionnel, il séquestre du dioxyde de carbone tout au long de sa vie utile ce qui permet, en exploitant cette ressource, de diminuer les émissions nettes de gaz à effet de serre. Certains acteurs de la construction innovent des méthodes conventionnelles et développent des concepts de bâtiments en bois pouvant être fabriqués en usine, sous forme de parties volumétriques distinctes appelées modules. Ces modules sont par la suite assemblés sur le site de construction lors de l’érection du bâtiment. Leurs méthodes de fabrication s’inscrivent également dans une pensée écoresponsable, puisque l’organisation structurée du milieu manufacturier réduit le gaspillage de matériau en plus de permettre de trier les rebuts de construction plus efficacement.


Face à la croissance de la tendance urbanistique à promouvoir les bâtiments commerciaux et résidentiels de mi-hauteur, c’est-à-dire entre cinq et huit étages [1], la préfabrication s’y approprie la place qui lui revient. Les ingénieurs montrent cependant une certaine réticence à s’aventurer en hauteur avec des bâtiments discontinués dont les normes du bâtiment stipulent peu de lignes directrices de design.


Figure 1 : Projet Watts Grove situé à Londres: des habitations modulaires en CLT © Waugh Thistleton Architects

Pour augmenter les parts de marché de tels projets par les préfabricateurs de bois québécois, l’industrie de la préfabrication se doit d’uniformiser et de standardiser ses méthodes d’assemblage des modules. L’utilisation d’un dispositif normé diminuerait substantiellement la réticence des ingénieurs concepteurs.


Contexte technique

Un bâtiment est soumis à de multiples chargements au cours de sa vie utile. La méthode de construction conventionnelle reconnue sous le nom de l’ossature légère comporte trois systèmes principaux de reprise de charge. Le premier système est le système de descente de charge, selon lequel toutes les charges massiques, soit le propre poids du bâtiment, l’habitation, et les charges de neige accumulées sont transmises de colonnes en colonnes jusqu’à être reportées au sol. Les autres chargements observés sont latéraux, soient les charges de vent réparties sur les façades exposées du bâtiment, et les charges sismiques qui entrainent de grandes forces latérales. Deux systèmes sont requis pour reprendre ces chargements. Le premier est le système de diaphragme, qui permet de lier toutes les poutrelles de plancher ensemble ainsi que toutes les fermes de toit ensemble. Le second est le système de mur de refend, qui permet de lier les murs parallèles entre eux. Ces liaisons s’effectuent généralement à l’aide de feuilles de contreplaqués, qui contraignent physiquement les éléments liés à partager les charges et efforts.


Figure 2 : CECOBOIS, Guide technique sur la conception des bâtiments à ossature légère en bois, 2013, [2]

Dans le contexte d’un bâtiment modulaire, où chaque module représente une discontinuité de ces systèmes, ces mêmes chargements se retrouvent concentrés aux points de connexion. Le connecteur développé doit donc être conçu de sorte à reprendre de forts chargements en compression, en tension ainsi qu’en cisaillement. Le mode de chargement en tension est présenté à la Figure 3a), ainsi que sur le mur gauche de la Figure 3c). Le mode de chargement en cisaillement est présenté en b), et le mode compressif est présenté sur le mur de droit en c). Le cahier des charges développé élève les capacités requises à 1000 kN en compression, 250 kN en tension, et 150 kN en cisaillement, ce qui peut être approximativement comparé à 100 voitures, 25 voitures, et 15 voitures, respectivement.


Figure 3 : CECOBOIS, Guide technique sur la conception des bâtiments à ossature légère en bois, 2013, [2]


De plus, les techniques d’assemblage actuelles ont démontré des temps élevés sur chantier ainsi qu’une diminution marquée du niveau de finition réalisé en usine. En effet, la connexion entre les modules s’effectue à l’intérieur des murs, ce qui signifie qu’à la sortie de l’usine, les murs adjacents aux colonnes de connexion doivent être laissés inachevés pour permettre aux travailleurs de chantier d’accéder à la connexion. Le travail restant doit être réalisé sur chantier, réduisant ainsi les avantages associés à la préfabrication. C’est pourquoi la solution optimale vise la conception d’un connecteur universel auto-verrouillant, c’est-à-dire entièrement dissimulé dans l’ossature et dont aucune manipulation n’est requise pour compléter sa connexion. Le connecteur doit donc comporter un mécanisme qui s’active lorsqu’un module est déposé sur celui du dessous. En plus de connecter verticalement les modules, le connecteur doit aussi lier latéralement les modules entre eux, et prévoir qu’à l’intérieur, un point de connexion peut lier jusqu’à huit modules (deux étages de quatre modules) alors qu’en périphérie la liaison ne lie que quatre modules (deux étages de deux modules) et qu’en coin extérieur, la liaison ne lie que deux modules.


Figure 4 : Différents points de connexion dans le bâtiment. Schéma issu d'une publication dans le journal ELSEVIER, 2016 [3].


Concept développé

Le concept développé doit se dénombrer par quatre dans un module rectangulaire standard, un dans chaque coin. Le connecteur se compose de deux assemblages distincts, le premier à être fixé aux quatre jonctions des poutres principales de plancher, le second à être fixé aux quatre coins des sablières du plafond. Le connecteur-plancher comprend le mécanisme de verrouillage automatique. Le bâti est rectangulaire et comprend une ouverture conique à sa base pour permettre l’arrivée et le guidage du connecteur plafond (du module inférieur). Le connecteur inférieur, pour sa part, comprend un arbre (cylindre dentelé) qui s’élève du plafond. Au moment de l’assemblage des modules, lorsque le module de l’étage supérieur entame sa descente sur le module inférieur, l’arbre est guidé par la cavité conique du connecteur plancher, pour se retrouver dans la cavité cylindrique du mécanisme de verrou. Lorsque l’arbre percute le bloc de déclenchement situé au fond du trou, le mécanisme de verrou est déployé et la connexion est complétée.

Mise à l’essai

Un prototype plastique a été développé ainsi que deux unités pilotes pour réaliser des tests divers. Le prototype plastique a d’abord permis d’ajuster les jeux fonctionnels afin d’optimiser le fonctionnement du connecteur. Ensuite, les unités pilotes ont permis la réalisation de tests de chargements cycliques dans l’objectif de représenter les chargements variables subis par les bâtiments. Les essais ont mené à la réalisation de courbes d’hystérésis, représentant la réponse en déformation du connecteur au chargement cyclique. Ensuite, le calcul de l’aire comprise dans ces courbes permet d’identifier l’énergie dissipée via la connexion, et conséquemment la quantité d’énergie qui a été déviée plutôt que transférée dans les colonnes structurales du bâtiment. En parallèle, des simulations numériques sont réalisées pour générer un modèle qui prédise avec vraisemblance le comportement du connecteur dans les divers cas de chargement. Finalement, des tests de chargement monocyclique ont aussi été réalisés et ont confirmé l’atteinte des valeurs du cahier des charges, soit un comportement linéaire – donc élastique – jusqu’à un chargement de 1000 kN compressif, et de même jusqu’à un chargement de 250 kN en tension.


Figure 5 : PICARD, L., 2020, Connecteur développé dans la publication [4]


Perspectives

Le concept sera mis à l’essai à l’échelle réelle dans les mois à venir et fera aussi l’objet de multiples autres bancs d’essais en laboratoire. Pou


r conclure, la réceptivité des différents manufacturiers semble démontrer la pertinence du développent d’un tel concept et on peut espérer une éventuelle utilisation sur chantier.

 

Bibliographie


[1] BROOK Mcllroy Planning, URBAN DESIGN Pace Architects, Avenues & Mid-Rise Buildings Study 2010, Toronto, CA.

[2] CECOBOIS, Guide technique sur la conception de bâtiments à ossature légère en bois, 2013 Québec, CA.

[3] CHEN, Zhihua, LIU, Jiadi, YUJIE, Yu, Experimental Study on interior connections in modular steel buildings, 2017, Tianjin, China.

[4] PICARD, Laurence, Development of an insertable and self-locking connecting device for prefabricated buildings, 2020, Québec, CA.

Article vulgarisé: DEVELOPMENT OF AN INSERTABLE AND SELF-LOCKING CONNECTING DEVICE FOR PREFABRICATED BUILDINGS

Auteurs : Blanchet Pierre, Bégin-Drolet André, Picard Laurence

Date de publication attendue : Juillet 2020

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